Comment l’IA est-elle utilisée dans le secteur dentaire ?
Tour d'horizon d'une Intelligence Artificielle (IA) déjà largement utilisée dans le secteur dentaire et de plus en plus encadrée
Cardiologie, Oncologie, Imagerie médicale, Dermatologie, Odontologie, ou encore Radiologie, l’intelligence artificielle (IA) se développe à grande vitesse de nos jours et s’étend notamment aux différents secteurs de la santé. Elle inquiète autant qu’elle inspire, et on ne peut plus faire comme si elle n’existait pas. Preuve que l’IA est l’un des grands enjeux pour la santé, le Conseil national de l’Ordre des médecins (CNOM) s’est penché sur la question et a publié en janvier 2018 son livre blanc "Médecins et patients dans le monde des data, des algorithmes et de l’intelligence artificielle".
En ce qui concerne l’art dentaire, l'IA a une grande variété d'applications, du simple outil facilitant le quotidien du dentiste à celui qui lui propose des diagnostics. Alors, nous autres dentistes devons-nous avoir peur de l’IA ?
Penchons-nous tout d’abord sur ce pour quoi l’IA est de nos jours principalement utilisée : améliorer la productivité des cabinets en réduisant les tâches répétitives chronophages.
De nombreux logiciels basés sur l’IA se concentrent sur des tâches très précises. Par exemple, l’IA est utilisée dans les commandes vocales telles que DEXvoice, l’«Alexa» des dentistes fabriqué par Simplifeye et DEXIS. Ce logiciel est capable d'extraire des radiographies, des dossiers patients et des diagrammes sur simple commande vocale. Cette solution offre donc une approche mains libres et peut à terme accélérer le travail du praticien. En particulier, Spotimplant propose un service d'identification d'implant basé sur l'IA.
Toujours dans cette visée de gain de productivité, le CHUM de Montréal expérimente actuellement un logiciel pour le triage à l’urgence. Les patients arrivent aux urgences, entrent leurs informations dans un ordinateur qui ensuite les trient selon leur degré d’urgence. L’IA détermine aussi si le problème est d’ordre respiratoire, pulmonaire, cardiaque ou autre. « On compare actuellement ce triage effectué par la machine avec le triage humain. La machine fait gagner du temps, mais on veut s’assurer que ce triage est fait à bon escient et qu’il est de qualité », précise le Dr Fabrice Brunet, président-directeur général du CHUM qui confirme l’importance d’une supervision humaine sur une IA qui semble bel et bien bénéfique.

D’autres IA vont tout de même plus loin : elles ne se limitent pas à un simple gain de productivité mais vont jusqu’à aider le praticien à prendre sa décision. C’est là le cœur de l’enjeu éthique de l’IA et des interrogations qu’elle suscite.
L’objectif est d’améliorer le suivi des patients, et si besoin d’émettre un diagnostic. Savoir si un grain de beauté est un mélanome, interpréter un scanner cérébral ou une radiographie des poumons : l'IA est capable de proposer un second avis au praticien voire de détecter des anomalies très fines, afin de un diagnostic fiable ou de lever des soupçons sur des pathologies. La technique la plus mature est la reconnaissance d’image par apprentissage automatique. En injectant des milliards de données déjà diagnostiquées par des experts dans un programme d'apprentissage, l’algorithme va apprendre à reconnaître un signe pathologique sur une image numérique. Google AI a ainsi mis au point une IA diagnostic le cancer du poumon avec 94,4 % de réussite (1). Ces procédures permettent d’ailleurs d'éviter des tests invasifs comme des biopsies. Et évidemment, l’IA ne fait que proposer un second avis que le médecin considère -ou non- pour émettre son propre et unique diagnostic final. De sorte que l’IA ne se trouve qu’être un outil au service du praticien.
Mais qu’en est-il lorsque le patient vient faire une visite de routine ? VisualDx, un autre programme en médecine et bientôt dans le secteur dentaire permet justement aux médecins d’entrer des images ainsi que des symptômes de patients et de dresser immédiatement une liste de diagnostics possibles. Le docteur a ainsi une vue d’ensemble de toutes les pathologies potentielles. L’IA ne fait alors que proposer des scenarii, et complète tout au plus le point de vue du dentiste.
Plutôt que de proposer plusieurs diagnostics probables, l’algorithme d’Evidentiae (2) se concentre lui à en émettre qu’un et le plus précis possible. Il est conçu pour extraire des informations des antécédents médicaux et dentaires ainsi que des résultats d’examens cartographiés pour générer un aperçu complet de la santé dentaire de votre patient. Il développe un avis diagnostique approfondi pour les préoccupations parodontales, les paramètres biomécaniques, la prise de décision fonctionnelle et les altérations dento faciales.
L’IA apporte également une aide dans une optique de prévention, par exemple en détectant un risque d'allergie ou d'interaction médicamenteuse auquel un médecin n’aurait pas forcément pensé.
Toujours dans cette visée d’anticipation du futur, l’IA aide les laboratoires dans leurs activités de recherche. Il faut une dizaine d’années et des millions de dollars avant qu’un médicament soit mis sur leur marché. Et dans le cas des épidémies comme la Covid-19, le besoin peut être urgent. L’un des moyens de réduire le temps de développement d’un vaccin passe par l’optimisation de la recherche préclinique. C’est l’objectif d’InVivo AI, une start-up créée par trois doctorants québécois. « À l’heure actuelle, le processus de développement d’un médicament se fait encore de façon assez intuitive » explique Therence Bois, cofondateur d’InVivo AI. « Pour une cible thérapeutique précise, un chercheur teste une panoplie de molécules, souvent de façon assez aléatoire, et répète les expériences jusqu’à ce qu’il en trouve une qui est active pour la cible d’intérêt, tout cela d’une manière très itérative. Les technologies d’InVivo AI analysent les données générées par ces chercheurs et créent des modèles qui permettent de simuler ces expériences de manière computationnelle et passer à travers ce processus plus rapidement ».
Un réseau d'intelligence artificielle (IA) mis au point par DeepMind, filiale de Google spécialisée dans l'IA, a par exemple fait un pas de géant dans la résolution de l'un des plus grands défis de la biologie : déterminer la forme 3D d'une protéine à partir de sa séquence d'acides aminés. "Dans un certain sens, le problème est résolu" explique John Moult, biologiste informaticien à l'université du Maryland à College Park, qui a cofondé le CASP, une expérience mondiale et communautaire de prédiction de la structure des protéines qui a lieu tous les deux ans depuis 1994.
L'IA est également un outil de communication très efficace. La compréhension des patients et la pédagogie sont clés dans l'adhésion au plan de traitement. Saviez vous que 56 % de vos patients n'acceptent pas leur plan de traitement car ils ne comprennent pas l'importance de se faire soigner et que 67% des patients n’arrivent pas à localiser leurs pathologies sur leurs radios dentaires ? Certains logiciels basés sur l'IA, tels qu'Allisone, vous permettent de mettre en évidence les éléments sur les radiographies des patients pour expliquer de manière visuelle, ludique et pédagogique les radiographies dentaires à vos patients, facilitant ainsi leur compréhension et les engageant davantage dans leur santé bucco-dentaire.

Peut-on alors faire confiance à l’IA ? Quelles implications éthiques cela engendre-t-il ?
L’on se rend donc bien compte que dans tous les cas précédemment cités, l’IA ne saurait être qu’un outil sur lequel le praticien s’appuie. Au mieux, si l’IA ne sert pas qu’à présenter des informations sur le patient, elle ne fait que suggérer un diagnostic potentiel. Jamais l’IA ne prend une décision sans que le médecin ne confirme cet avis. Nous pensons justement que c’est de cette manière que l’IA doit être utilisée : un « bonus », une formidable opportunité de réduire les erreurs et les oublis à valeur de proposition soumise à l’avis du praticien. Pourquoi se passer d’une telle avancée médicale aux résultats bénéfiques prouvés ? « L’IA induit un potentiel majeur de renforcement de l’efficacité et de l’efficience de notre système de santé. Le premier risque éthique serait d’abord de se fermer à l’innovation, de ne pas s’ouvrir à tout ce potentiel de solutions nouvelles.” David Gruson, membre du comité de direction de la chaire santé de Sciences Po Paris, fondateur d’Ethik-IA interrogé par l’UFSBD, l’Union Française pour la Santé Bucco-Dentaire.
D’autant que l’IA est drastiquement contrôlée lorsqu’elle aide au diagnostic. En effet, la nouvelle directive européenne UE 2017/745 exige dorénavant que les IA considérées comme dispositif médical aient une certification de classe II-A. L’auto-certification que préconisait la classe I est donc remplacée maintenant par un contrôle réalisé par un organisme tiers et la mise en place d’essais cliniques pour valider les performances du système. Elle vise ainsi à améliorer l’intégrité des dispositifs médicaux informatisés, leur sécurité opérationnelle et la qualité fonctionnelle permettant d’établir un diagnostic.
Il reste le plus sensible, l’image redoutée de l’IA robot qui remplace les dentistes.
En effet, l’image du robot-dentiste Yomi a fait le tour du monde mais mérite d’être éclaircie. Yomi est en effet un nouveau robot capable de poser des implants dentaires, selon les résultats d'une étude publiée par la revue South CHina Morning Post. En Chine, deux nouvelles dents, créées par l'impression 3D, ont été implantées avec succès dans la bouche d'une femme grâce à Yomi. Mais tout d’abord, cette technologie n’est rien sans l’humain, des dentistes l’ont programmée et c’est bien à l'issue de la démarche intellectuelle humaine de planification pré-implantaire que Yomi peut agir, comme un bras technologique qui aurait été préalablement téléguidé. C’est seulement une fois l’os étudié dans sa hauteur et son épaisseur et la chirurgie préparée en amont qu’il peut agir, autant d’éléments bien trop difficiles à gérer pour des robots. Il répond alors à des ordres simples comme le fait un ordinateur, rien de plus. Il ne s’agit donc pas ici d’une IA et se rapproche bien plus des simples outils déjà utilisés depuis longtemps par les praticiens. Ainsi, les robots-dentistes ne sont pas pour demain.
Torsten Meyer-Elmenhorst, chirurgien-dentiste chez Ivoclar Vivadent AG, n'est pas inquiété par ces développements : "Les robots sont juste capables de faire ce que les humains leur apprennent. Ils exécuteront des étapes de travail de haute précision en fonction d'ensembles de données spécifiques. Néanmoins, des systèmes de ce type joueront toujours un rôle d'assistance. À l'avenir, la connaissance des dentistes qualifiés - et donc de spécialistes humains - restera indispensable pour la détermination des indications et la prise de décision."
Marie Christine Jaulent, directrice de recherche Inserm au laboratoire d'informatique médicale et ingénierie des connaissances pour la E-Santé, souligne elle aussi l’absence de raisonnement des robots qui ne sauraient donc remplacer des médecins(3). Seule leur incroyable mémoire peut servir d’appui à ces derniers.
L’on se rend mieux compte à quel point l’IA peut nous être bénéfique, qu’elle est d’ores et déjà utilisée dans le monde de la santé et du dentaire, et qu’elle n’est qu’un outil au service du dentiste, pour lui rendre la tâche plus simple et lui permettre de fournir un diagnostic encore meilleur.
- “Santé et intelligence artificielle : quelle révolution nous attend ?”, Céline Deluzarche, FuturaSanté, 17 Octobre 2020.
- “Pourquoi l’intelligence artificielle est l’avenir de la dentisterie”, Dr. Marc Cooper, DentisFuturis, 26 Novembre 2017.
- Vidéo Youtube “Les médecins de demain remplacés par des robots... Vraiment ?”, publiée par la chaîne Inserm, 25 janvier 2019.
- “Impacts du nouveau règlement 2017/745 sur la gestion biomédicale des dispositifs médicaux”, V. Boissart,
NCBI, 31 mars 2021.
